J+294 / J+299: Ushuaia et la terre de feu

Après cette semaine à Buenos Aires je pars au petit matin vers une destination mythique.

J’en rêve depuis que je suis enfant. La faute à Nicolas Hulot et son émission au combien formidable qui a éveillé en moi, depuis les années 1990, des envies de voyages et de découvertes aux quarte coins du globe.

Ce lieu qui reste plus que tout un symbole de mon périple, de ma vie et de mon accomplissement d’aller le plus loin possible est Ushuaia, la ville la plus australe de la planète. Après cela, il n’y a pour ainsi dire plus rien !

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A l’approche d’Ushuaia

Située entre les 40ème rugissants et les 50ème hurlants, à tout juste un millier de kilomètres de l’Antarctique (soit à peine un Lille-Marseille), Ushuaia est le dernier port avant le pôle sud et le grand froid.

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Avant d’atterrir j’écoute Reckoner de Radiohead en survolant les quelques dernières montagnes de la cordillère des Andes qui plongent dans l’océan Antarctique (nouvellement appelé océan austral) et je prends une nouvelle fois conscience du privilège que j’ai de vivre tout cela.

Je pourrais vous dire que c’est fantastique mais c’est bien plus fort que tout ce que j’ai vécu jusqu’à présent. C’est un sentiment de bout du monde, un sentiment où la vie humaine ne peut pas aller plus loin du fait des conditions climatiques. A juste titre puisque les argentins appellent cette pointe de terre El fin del mundo.

Ferdinand Magellan ne s’y était pas trompé en découvrant ce lieu magique. En traversant le détroit qui porte son nom pour éviter le cap Horn et ses vents extrêmes, non loin d’Ushuaia, il avait surnommé cet endroit la Terre de Feu.

Pour quelle raison ? Car ses habitants se chauffaient autour du feu toute la journée durant en se badigeonnant de graisse animale et de peaux de phoques pour survivre aux conditions polaires.

HMS_Beagle_by_Conrad_Martens

Au delà de l’endroit exceptionnel, non loin de l’île de Horn, deux choses m’attirent plus que tout. La découverte de la Terre de Feu mais aussi une rencontre particulière avec les pingouins et phoques dans le canal de Beagle.

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Commençons par la Terre de Feu et son parc national centenaire.
C’est en grimpant un sommet à près de 900 mètres que je me rends compte de la beauté de ce lieu unique dont la vue sur tout le parc est à couper le souffle.

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Les couleurs de l’automne donnant encore plus de charme à la flore, on se dit bien que le nature est belle lorsqu’elle est vierge de toute pollution.

Au delà des paysages, ce qui m’interloque le plus sont les animaux qui peuplent le parc. Ils semblent être libérés de toute peur de l’homme. J’entends par là qu’ils ne sont pas craintifs.

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Barrage de castors

Pour preuve, je rencontre des aigles sur mon chemin qui paraissent tout au plus être dérangés par ma présence, comme le seraient des pigeons en ville !

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Au gré de ma ballade je découvre des castors, piverts et autres oies sauvages.

La Terre de Feu c’est aussi son mythique canal appelé Canal de Beagle, en hommage au bateau anglais le HMS Beagle qui avait amené à son bord le renommé naturaliste Charles Darwin en expédition dans ces eaux australes.

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Ce qu’il y a de surprenant dans tout cela c’est que l’on a littéralement l’impression de se trouver au bout de la terre dans un reportage du National Geographic.

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Plus rien ne pousse autour à cet endroit de la planète. Tout est gris de désolation. Le froid venant de l’Antarctique me glace les os sur le bateau qui me conduit aux éléphants de mer.

Après plus deux heures de navigation j’arrive enfin sur une ile où de jolis pingouins Magellan ont élu domicile. C’est la première fois que j’en vois de ma vie.

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Quelle sensation étrange, surprenante dirais-je même. De si petits organismes, d’un mètre tout au plus, dressés sur leurs deux pates qui déambulent devant moi avec une certaine curiosité pour l’autre bipède que je suis. Un moment extraordinaire qui restera gravé dans ma tête.

Sur le chemin retour menant au port d’Ushuaia une énorme tentation me prend soudainement. Celle d’aller plus au sud. Quand j’entends plus au sud, c’est aller encore plus bas sur terre. D’aller “tout simplement” en Antarctique !

Je sais que ce genre de voyage coûte très cher. Quand je dis très cher, c’est un euphémisme. C’est même hors de mon budget. Mais comme on dit, on ne vit qu’une seule fois et puis je n’y retournerai pas tous les jours en fait.

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Je sais aussi que l’on peut avoir des billets dernière minute en embarquant dans un des brise-glaces qui convoient des scientifiques pour des missions de plusieurs mois.

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Malheureusement nous sommes à l’entrée de l’hiver austral (l’été pour l’Europe) et le dernier bateau en partance pour les terres australes antarctiques est déjà plein.

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Une autre alternative serait d’aller au mythique Cap Horn.
Découvert par la force des choses à cause de terribles conditions météo, le navigateur et corsaire anglais Sir Francis Drake fut contraint de rebrousser chemin à l’entrée du détroit de Magellan et pris une route plus au sud pour franchir pour la première fois le cap en 1578. Par la suite la Compagnie néerlandaise des Indes orientales qui avait le monopole du commerce à cette époque baptisa le Cap, « Kaap Hoorn » en l’honneur de la ville de Hoorn, aux Pays-Bas.

horn
Le mythique cap Horn

Quand on regarde les cartes marines on se dit que les siècles qui suivirent cette découverte furent moins glorieux. Pour preuve, le nombre clippers qui essayaient de franchir le cap se fracassaient une fois sur deux sur les côtes lors de fortes tempêtes allant jusqu’à 60-70 nœuds (~130 km/h de vent).

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Le nombre d’épaves entourant le cap Horn est impressionnant (points en rouge)

Malgré cette forte envie de rallier moi aussi le cap en bateau je suis contraint de rester à quai au vu du prix des billets…

Je décide alors de me rabattre sur l’origine de ce port légendaire qu’est Ushuaia.

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Ushuaia au début du XX ème siècle

Au gré de ma visite je tombe sur la prison de la ville. On y apprend que se sont les bagnards qui peuplèrent en premier ce lieu unique à la fin du XIX siècle.
A l’origine ceux-ci vivaient sur les îles des Los Estados mais pour des raisons de salubrité le gouvernement argentin décida de transférer les prisonniers à Ushuaia où quelques habitants vivaient seulement. Ils devinrent ainsi des colons et leurs principales activités étaient de couper du bois sur les terrains environnant la prison et de construire la ville.

L’escale la plus australe de mon périple s’arrête ici et je pars dès demain vers le nord en direction de Puerto Natales pour effectuer le trek W de Torres Del Paine. Une chose est sûre, je reviendrai, un jour, pour accomplir ce que je n’ai pas pu faire Le Cap Horn et l’Antarctique !

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Dernière soirée à Ushuaia

Je terminerai ce post par Charles Darwin, qui décrit son expédition de cinq années autour du monde à bord du HMS Beagle, voyage qui est à l’origine de son ouvrage L’Origine des espèces, et relate sa rencontre en 1833 avec le Horn :

« … nous nous approchons des Barnevelts. Nous passons devant les immenses rochers qui forment le cap Deceit, et, vers trois heures, nous doublons le cap Horn, battu par les tempêtes. La soirée est admirablement calme, et nous pouvons jouir du magnifique spectacle qu’offrent les îles voisines. Mais le cap Horn semble exiger que nous lui payions un tribut, et, avant qu’il soit nuit close, il nous envoie une effroyable tempête qui souffle juste en face de nous. Nous devons gagner la haute mer, et, le lendemain, en nous approchant à nouveau de la terre, nous apercevons ce fameux promontoire, mais cette fois avec tous les caractères qui lui conviennent, c’est-à-dire entouré de brouillard et entouré d’un véritable ouragan de vent et d’eau. D’immenses nuages noirs obscurcissent le ciel, les coups de vent, la grêle nous assaillent avec une si extrême violence, que le capitaine se détermine à gagner, si faire se peut, Wigwam Cove. C’est un excellent petit port situé à peu de distance du cap Horn ; nous y jetons l’ancre par une mer fort calme la veille même de Noël. »

— Charles Darwin, Le Voyage du Beagle

Mes copains Max, Tim et Jems avaient bu le pastis le plus austral au monde il y a 8 ans de cela, malheureusement je n’ai pas pu perpétuer la tradition. Rupture de stock au bar ce soir là! Next time 😉

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